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20 novembre 2009

Qu'est-ce qu'un mouvement social ?

Par Larose Vernet
vernelaroz@yahoo.fr
Extrait de Forum Culturel Haitien

Aujourd'hui quelques éléments de réflexion sur la définition que la sociologie donne d'un mouvement social. Pour cette question, je préfère au Repères Sociologie des mouvements sociaux d'Erik Neveu, l'ouvrage de Lilian Mathieu, Comment lutter ? paru en 2004, dont sont issus les éléments ci-dessous.

Une première composante fondamentale d'un mouvement social est sa dimension collective, les phénomènes de révolte individuelle, c'est-à-dire déconnectée de tout support ou cadre collectif, sont laissés de côté par la sociologie des mouvements sociaux. Pour évidente qu'elle puisse paraître, cette dimension collective n'en est pas moins problématique, et ce sur plusieurs points. Le premier est qu'il serait hasardeux de la considérer comme allant de soi : se doter d'une dimension véritablement collective est dans bien des cas un enjeu, et pas des plus simples à réaliser, pour les individus qui souhaitent faire entendre une protestation.

La stature collective de toute mobilisation n'est donc pas un donné, mais à la fois son enjeu et son produit. Les acteurs qui lancent une protestation sont contraints à un travail de construction de sa dimension collective. Mais même une fois accompli avec succès, ce travail de ralliement autour d'une cause ne doit pas pour autant être considéré comme allant de soi. Même devant une mobilisation qui a « pris » à laquelle se sont ralliés des effectifs parfois considérables de militants, le chercheur se doit d'interroger la consistance - du collectif ainsi créé

De nombreuses définitions des mouvements sociaux associent également, selon des combinaisons variables, ces différents traits constitutifs que seraient une dimension perturbatrice, une exclusion du jeu politique « légitime »ou « institutionnel» et un recours privilégié au sein des couches sociales « dominées ». L'action collective protestataire serait un des rares registres d'intervention dans le jeu politique accessibles aux groupes exclus du système politique, une « arme des faibles » permettant aux sans voix de se faire entendre. Cette fermeture expliquerait la dimension « perturbatrice» des mouvements sociaux, dont les militants devraient en quelque sorte s'imposer, en le perturbant (au besoin par la violence), dans un jeu politique contrôlé par et pour un groupe plus ou moins restreint d'élites.

Un bref coup d'œil à la réalité contestataire, passée ou présente, semble valider cette conception des mouvements sociaux. Le fait qu'il s'agisse d'un mode d'expression de populations situées du mauvais côté des rapports de force, tout d'abord. D'évidence, ce sont plutôt des ouvriers qui protestent contre la délocalisation de leur usine ou des sans-papiers qui exigent leur régularisation que l'on voit organiser manifestations, occupations ou grèves. À l'inverse, on entend rarement parler de grèves de chefs d'entreprise ou de manifestations de hauts fonctionnaires : non pas que ceux-ci n'aient jamais de revendications à faire valoir, mais ils utilisent pour cela d'autres modes d'action plus discrets et efficaces - tels que le lobbying.

Pour autant, il convient de nuancer cette vision. Tout d'abord, au niveau des individus qui se mobilisent, on constate que le recours à l'action protestataire n'est pas tant le fait des plus dominés que de ceux que l'on pourrait appeler les« dominants parmi les dominés ». S'engager dans un mouvement social exige en effet un certain nombre de ressources ou de compétences dont sont généralement dépourvus les membres des populations les plus dominées ou « exclues ». La plupart des études sur le militantisme indiquent ainsi que les militants se recrutent majoritairement parmi les individus qui disposent d'un haut niveau de politisation, lequel est généralement corrélé à un haut niveau de diplôme.

La dimension perturbatrice ou « non conventionnelle» des actions contestataires ne peut elle non plus constituer un critère de définition des mouvements sociaux. Non que celle-ci soit absente de la pratique contestataire. Nombre de mouvements ont fait de la perturbation, outre un instrument de lutte efficace, une sorte de marqueur identitaire : les occupations d'appartements vides de Droit au logement (DAL), les réquisitions de nourriture dans les supermarchés d'Agir ensemble contre le chômage (AC !) ou encore les blocages de la circulation par les chauffeurs. La difficulté vient de ce que cette vision reste empreinte de légitimisme : considérer que l'action des mouvements sociaux relève d'une forme « non conventionnelle» de participation politique, c'est la poser dans un rapport défavorable, et de moindre légitimité, avec les formes supposées « conventionnelles» - et, surtout, pleinement légitimes de participation, c'est-à-dire, en premier lieu, le vote. C'est aussi entretenir une vision dépassée de la place des mouvements sociaux dans notre société : si les travaux historiques ont par exemple montré que la manifestation de rue a longtemps gardé une dimension insurrectionnelle au moins latente, il s'agit aujourd'hui d'une forme tout à fait banale et routinisée de participation politique.

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